3 mois sous silence, libérer la parole autour de la fausse couche

Mis à jour le par Lauriane Amorim

C'était un truc qui me rendait dingue… cette histoire d'attendre trois mois… pour annoncer une grossesse. Les secrets, c'est pas trop mon truc, alors une grossesse, à taire pendant 3 mois, pour moi c'était bien trop énorme ! Alors j'avoue, j'ai balancé l'info, par-ci, par-là à mes parents, à des amis très proches, des collègues que j'aime… et à chaque fois, je culpabilisais : j'avais enfreint la règle des 3 mois. Et si je me portais la poisse ? Et si maintenant que j'avais annoncé la bonne nouvelle, je devais perdre ce fœtus ? Aurait-il mieux valu le silence ? Et si en fait on arrêtait plutôt de toujours demander aux femmes de se taire ? C'est en quelque sorte, ce que nous dit Judith Aquien, dans son livre Trois mois sous silence aux éditions Payot.

3 mois sous silence, libérer la parole autour de la fausse couche

Trois mois sous silence, un livre pour libérer la parole

Trois mois sous silence, de Judith Aquien, c'est un titre qui en dit long quand on a connu ce silence, mais ce qui en dit bien plus long encore, c'est le sous-titre de cet ouvrage : le tabou de la condition des femmes en début de grossesse. Cette loi du silence, imposée aux femmes, alors même qu'elles sont en train de vivre un événement qui chamboule tout : le corps, l'âme, l'esprit... mais rien ne doit transparaître. Pourquoi, alors que tout s'emballe, que tout change déjà, cacher le premier tiers de sa grossesse ?

Trois mois sous silence - Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse de Judith Aquien, paru le 12 mai 2021 aux éditions Payot.

📖 Extrait : 
Ce n'est pas le moindre des paradoxes de notre époque que la maternité soit devenue un libre choix tout en continuant d'être présentée comme le plus sublime de tous les accomplissements féminins.

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Endurer le silence et le reste

Le début d'une grossesse n'a rien de simple. Il y a les émotions qui s'emballent : du bonheur, de la surprise, de l'inquiétude et aussi des traumas qui remontent. Et puis il y a tout un panel de symptômes (qui sont bien loin d'être de petits maux de grossesse) : des nausées, des vomissements, une fatigue inqualifiable, de l'acné, des brûlures d'estomac, j'en passe et des meilleures. Et tout ça, eh bien on doit le vivre seule et isolée. Et gare à celle qui, comme moi, aurait l'audace de révéler le pot aux roses au bout de quelques semaines seulement. On me sommait purement et simplement de ne pas commettre cette erreur une seconde fois, que le dire trop tôt portait la poisse.

🤐

En gros : "T'es gentille merci pour l'annonce, mais au cas où, j'ai pas envie que tu viennes finalement m'annoncer que tu l'as perdu." Le monde entier a besoin de certitude alors que la grossesse et la vie n'ont aucunes certitudes à offrir. Mais c'est ainsi, on entre en grossesse comme on entre au couvent, en faisant vœu de silence et veuillez ne pas vous plaindre s'il vous plaît.

Et pourtant, pourtant, je me souviens comme si c'était hier, quand mon test de grossesse positif à la main, j'appelais, tremblante, le secrétariat de ma gynéco qui me demandait déjà dans quelle maternité je comptais accoucher. J'étais enceinte depuis 30 secondes ! Eh oui, mais s'il faut protéger les oreilles et les âmes sensibles de nos proches, dès l'annonce de la grossesse, il faut prendre ses rendez-vous chez le gynéco, pour au moins 6 mois, s'inscrire dans une maternité et commencer à chercher une nounou ou une crèche. 

Vous la sentez là, l'absurdité de la situation ? 🤯 On demande aux femmes de se projeter dans une grossesse, tout en leur imposant de la taire parce qu'elles doivent garder en tête que tout peut s'arrêter du jour au lendemain. C'est un véritable calvaire psychologique. Le début de grossesse est un véritable parcours d'obstacle en terre inconnue que l'on mène seule, avec les conseils de sites internet plutôt que ceux d'une mère, d'un parent, d'une amie, d'une sœur.

"T'es gentille merci pour l'annonce, mais au cas où, j'ai pas envie que tu viennes finalement m'annoncer que tu l'as perdu."

Le jeu du roi de la reine du silence au travail aussi !

Et s'il y a bien un lieu ou le début d'une grossesse doit surtout être passé sous silence, c'est bien au travail. Nous sommes en 2023 me dites-vous ! Pourtant, la discrimination envers la grossesse et les femmes enceintes est encore très présente dans le monde du travail. Elles sont encore nombreuses à annoncer leur grossesse et à s'entendre répondre : "comment avez-vous osé me faire ça ?". Ici, le silence autour des 3 premiers mois de grossesse prend donc tout son sens : je ne vais pas prendre le risque de dire que je suis enceinte si finalement ça n'aboutit pas. 

😥 Alors bien sûr, malheureusement, si fausse couche il y a, il faudra la traverser seule, sans le soutien de ses collègues, de ses responsables, plus largement de son entreprise, sans prise en charge face à ce deuil d'une maternité à venir.

Travail, petits maux et grosses galères

Dans l'émission Modern Love sur France Inter, Judith Aquien explique que ce que tout le monde appelle généralement des "petits maux de grossesse", sont en fait de véritables symptômes de grossesse. En effet, la notion de "petits maux" donne à penser que ce n'est rien, ou du moins, pas trop grave, mais il n'en est rien ! C'est une véritable gêne et douleur physique. On peut, par exemple, s'amuser de tétons qui démangent, mais quand ils démangent tooouuute la journée, ça devient insupportable. Et que dire des femmes dont les vomissements sont si importants qu'elles souffrent de déshydratation. 

En bref, avec cette loi du silence qui pèse sur les toutes jeunes mères, il faut se débrouiller seule et prendre sur soi, mais devenir aussi fine stratège. En effet, c'est toute une organisation à mettre en place pour tenter d'aller vomir discrètement ou pour aller dormir quelques minutes, assises sur les toilettes ou dans sa voiture après la pause déjeuner 🚽. Quand on se retrouve à se tordre de douleur parce qu'on a des maux de ventre, qu'on a envie de dormir tout au long de la journée et qu'on a des nausées matinales, mais aussi en fin de matinée, en début d'après-midi et en fin de journée, comment justifier à son employeur une baisse d'activité, un arrêt maladie, un besoin d'aménagement, quand on ne peut pas annoncer qu'on est enceinte ? Comment simplement tenir le coup, enfermée dans le silence ? On peut véritablement parler d'une forme de violence faite aux femmes, alors même que des aménagements pourraient être mis en place de façon simple.

👋 Soit dit en passant :

Il est intéressant (et triste) de remarquer que les femmes doivent sans cesse se débrouiller avec leurs douleurs, et surtout les taire. Tabou autour des douleurs des règles, c'est normal de souffrir quand on est enceinte, quand on accouche, etc. Il y a une sorte d'interdiction de se plaindre. Le confort physique appartient aux hommes. C'est d'ailleurs sur les douleurs de ces derniers que l'on fait le plus de recherches. Il n'existe que très peu de fonds pour traiter le sujet des douleurs typiquement féminines.

Le tabou de la fausse couche : que se passe-t-il si tout s'arrête ?

Et d'ailleurs, pourquoi 3 mois ? Parce que c'est pendant cette période que le risque de fausse couche est le plus important. Par habitude, par coutume, par superstition ou même par peur, on attend la première échographie pour annoncer une grossesse et en parler ouvertement. Mais, la fausse couche concerne environ 15% des grossesses, on compte 20 000 fausses couches par an, ce qui fait qu'une femme sur 4 est touchée. Des femmes réduites au silence. 

Donc quand on fait une fausse couche, le ciel nous tombe sur la tête. On se sent seule et nulle, on a échoué, parce qu'on ne se rend pas compte, à cause de ce silence des trois premiers mois, à quel point le nombre de femmes ayant, elles aussi, vécu une fausse couche est important.

Il faut que le tabou autour de la fausse couche cesse ! 👊

On demande toujours à une femme combien elle a d'enfants, jamais combien elle a connu de grossesse. Ma belle-mère parle très ouvertement de ses deux enfants et à demi-mot de ses deux fausses couches, deux traumatismes qu'elle porte encore en elle, 30 ans plus tard. Elle ne dit jamais qu'elle a eu 4 grossesses et c'est bien là le nœud du problème. Le corps féminin ne compte pas tant qu'il ne s'est pas montré utile, jusqu'au bout (il n'y a qu'à voir le tabou que c'est encore pour une femme de ne pas vouloir d'enfant, de ne pas rendre son corps utile). On laisse donc tout un tas de femmes se débrouiller avec leur peine et leur douleur, à devoir parfois, seule, tirer la chasse d'eau sur le fœtus mort et pleurer… loin des yeux du monde. En faisant des fausses couches un tabou on empêche la prise en charge de ses femmes, Judith Aquien évoque même une "maltraitance institutionnalisée".

Dans l'imaginaire collectif, la grossesse doit être un moment de bonheur et d'épanouissement, point. Personne n'a envie d'entendre parler de nausée, de vomissements, de déprime et encore moins de fausse couche. Cette chape de plomb, ce tabou est un véritable problème, notamment, pour la santé mentale des femmes qui sont désespérément seules face à leur sentiment d'échec. 

Ne devrait-on d'ailleurs pas plus souvent dire "subir une fausse couche", plutôt que "faire une fausse couche" qui induit une idée de volonté ? Et en parlant de ce qui se dit, le tabou est si grand autour des fausses couches, que la société ne sait pas comment réagir. Face à ce drame, il n'est pas rare que les gens manquent d'empathie ou disent des choses comme : "la nature est bien faite.", "il faut vite s'y remettre." Nous savons tous comment nous comporter, quoi dire quand on apprend un licenciement, un accident, un décès, pas vraiment quand il s'agit d'une fausse couche, parce que tout ce qui se passe avant 3 mois, n'existe pas ! Alors stop au silence et la solitude qui entoure les femmes pendant les trois premiers mois de grossesse. Parlons-nous ! 📢

L'avis de la rédaction : se faire aider

Il est important de libérer la parole, si vous vivez mal cette période de silence imposé ou que vous avez dû faire face à une fausse couche, il est important d'en parler avec un professionnel. Traverser une fausse couche, la redouter, est une épreuve difficile, mais vous n'êtes pas seul. Un psychologue peut vous offrir un espace sûr pour exprimer vos sentiments, vous aider à naviguer dans vos émotions et développer des stratégies d'adaptation. Il est important de se rappeler qu'il n'y a pas de honte à chercher de l'aide pour guérir et aller mieux. Prenez soin de vous.

🤗 Se comprendre, s'accepter, être heureuse... C'est ici et maintenant !

 #BornToBeMe 

Contacter un psychologue

Source : Emission Modern Love du 30 mai 2021 sur France Inter, présentée par Nadia Daam

Et encore un petit sujet tabou ! Comment gérer la déception à l'annonce du sexe du bébé ? - Je n'aime pas du tout être enceinte : le sujet tabou.

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