Nous recevons Gersende Bargine et Philippe Gourdin auteurs du livre à paraître : “ L’après cancer, tout un programme ! ”, aux éditions : In press, un ouvrage consacré plus généralement à cette période complexe de l'après-cancer. Ce livre met en exergue les étapes à traverser : nombreuses et différentes selon le parcours de chacun pour sortir de ce schéma de “malade”, et prendre pied dans sa nouvelle vie. Un chapitre est consacré à l’art-thérapie dans cette phase d’après-cancer et c’est ce sur quoi nous allons nous attarder aujourd’hui.
Tout d’abord, faisons connaissance :
Gersende, vous êtes journaliste-réalisatrice. Vous avez été confrontée à un cancer du sein génétique. Bénévole pour des associations touchant cette maladie en étant en contact direct avec les patients ; vous avez pu mesurer les différentes difficultés et complexités associées à l’après-cancer.
Philippe, vous êtes écrivain. Vous avez enduré trois leucémies avec deux greffes de moelle osseuse. Vous êtes également l’auteur du livre-témoignage “je suis né trois fois “ et animateur d’une chaîne Youtube éponyme.
Pouvez-vous en quelques mots aborder les difficultés dont on parle dans cette phase d’après-cancer ?
G. B: Déjà, qu’est-ce que l’après-cancer ? On en parle peu, voire pas du tout. Pendant les traitements, on est accompagné, soutenu par la famille, les médecins, l’entourage. Mais une fois les traitements terminés, il se passe autre chose.
La famille pense que comme vous êtes guéri, que tout va bien, que l’on recommence comme avant et donc se met de côté, ce qui est normal et logique. Mais pour certains patients qui sont amenés à aller régulièrement, voire quotidiennement à l’hôpital, notamment quand ils terminent leur traitement par la radiothérapie, du jour au lendemain tout s’arrête. Et puis on vous dit : “ rendez-vous dans 3 mois ou dans 6 mois pour un check-up. “
Cela peut être extrêmement perturbant de se retrouver face à soi-même sachant que l’on n’ est plus la personne d’avant et que l’on ne sait pas qui on va être. Pour les patients qui sont en rémission et qui ont besoin d’un suivi beaucoup plus rigoureux, et beaucoup plus rapproché, cette problématique se pose aussi. Il y a plusieurs difficultés liées à cette période de l’après-cancer, mais ce que l’on constate, c’est cette fatigue qui était présente pendant les traitements et qui le reste ensuite, les douleurs, l’atteinte à l’image corporelle due aux traitements et/ou à certaines opérations. La liste ne s’arrête pas là : les troubles de la sexualité, les problèmes de fertilité, la peur de la rechute font également partie du lot.
Toutes ces perturbations, ces troubles émotionnels font partie effectivement de l’après-cancer. L’autre point important, c’est notre rapport aux proches dans cette nouvelle vie : le retour au travail, la famille, les enfants, ou la future vie de couple. Il y a beaucoup de choses à traiter pour lesquelles il y a des solutions bien évidemment.
Quel est le processus de l’art thérapie ? Sur quoi agit-elle ? Comment ?
P.G : La pratique d’un art peut être la source d’un processus de récupération personnel dans l'après-cancer. Se mettre en position de création c’est s’ouvrir d’autres horizons. Durant le cancer notre vie se restreint à un seul sujet qui nous obsède : notre cancer. La rémission permet une ouverture, une réinsertion dans le monde normal, mais la pratique de l’art ouvre encore davantage notre esprit et le libère.
Ce lâcher-prise mental peut constituer un bénéfice fort pour la santé, pour le corps, pour l’esprit. Des études l’ont d’ailleurs démontré. C’est même l’une des principales conclusions de l’étude du bureau européen de l’organisation mondiale de la santé.
Quels arts sont fréquemment utilisés ? Pour quels bienfaits ?
On peut parler tout d’abord des arts de la scène : la musique, la danse, le chant, le théâtre, le cinéma… On imagine assez vite que, se mettre en mouvement, ouvrir son corps et sa personnalité est thérapeutique. Ca l’est d’ailleurs en dehors de la maladie mais après la maladie, cela a encore davantage de force.
- Il y a les arts visuels : l’artisanat, le design, la peinture, la sculpture, la photographie… La photographie dans le cadre de l’atteinte de l’image corporelle peut jouer un rôle fort. Elle peut permettre d’accepter son nouveau corps.
- la littérature, on pense évidemment à la lecture et à l'écriture. Lire : c’est s’échapper, voyager. Ecrire : c’est un processus fort de création.
- La culture : fréquenter les musées, les galeries, assister à des concerts, du théâtre…
- Les arts en ligne avec toutes les possibilités qu’internet aujourd’hui nous offre.
Être créatif c’est vraiment salvateur. Chacun à son niveau, peu importe. Il n’y a pas de jugement mais tout doit être fait dans la bienveillance.
Gersende Bargine, vous avez également organisé des événements : exposition, one woman show pour sensibiliser/communiquer sur ce sujet de l’après-cancer. Quel bilan en avez-vous fait ?
J’ai en effet été amené à travailler sur des projets artistiques qui mettaient en lien des artistes et des patients. Des patients en fin de traitement ou en rémission. Le but était de créer une œuvre artistique aussi bien en peinture, en sculpture, qu’en photographie ou en vidéo… Le patient choisissait son projet, on était amené à lui trouver un artiste avec lequel il allait devoir travailler pendant plusieurs mois en binôme. Ce que l’on pouvait constater c’est que cela permettait au patient de sortir de l’isolement, de les re-sociabiliser, de reprendre confiance en eux. Un échange bénéfique et constructif pour l’un comme pour l'autre !
Cela pouvait même provoquer parfois de vrais changements de vie, des changements d’orientation chez les patients qui, avant la maladie travaillaient dans un domaine particulier et qui, d’un seul coup se rendaient compte que la photographie par exemple allait être leur futur métier. Une vraie reconstruction ! Je pense que l’art aussi permet une approche beaucoup plus joyeuse et facile pour parler de la maladie, pour parler de "après". En ce qui me concerne, j’ai le souvenir d’avoir travaillé avec un street artiste justement sur cette thématique de l’après-cancer”. On travaillait sur une œuvre dans la rue, et les gens venaient beaucoup plus facilement vers nous. Ils nous posaient des questions sans tabou, sans barrière. Le discours était fluide, souriant, joyeux…
Et puis l’artiste aussi se nourrit de l’expérience de l’autre. Un humoriste avec lequel nous avions écrit et joué un sketch avec une autre patiente, avait les larmes aux yeux en sortant de scène. La première chose qu’il a eu envie de faire, c’est de nous prendre dans ses bras et, il nous a dit : “ Voilà, aujourd’hui je sais pourquoi je fais ce métier.”
Il y a un véritable échange, cela ne va pas que dans un sens. Cela apporte beaucoup de bienveillance et de joie tout simplement.
Pourquoi avoir écrit un livre sur cette phase d’après-cancer ? A qui s’adresse t-il ? Quel(s) message(s) souhaitez-vous transmettre ?
G. B : Il n’y avait tout simplement pas de livre qui traitait véritablement de cette période de l’après-cancer. C’est quelque chose dont on ne parle pas. C’est encore extrêmement tabou. Les patients eux-mêmes ne savent pas ce qu’est l’après-cancer et se retrouvent confrontés malgré tout à certaines difficultés. Nous avons donc écrit ce livre pour leur dire : “vous n’êtes pas seuls, et ce qui vous arrive est normal.”
Par le biais de témoignages de patients que l’on a recueillis, nous espérons que cela leur permettra peut-être de se rendre compte qu’effectivement ils ne sont pas seuls, et que ces choses qui leur arrivent, arrivent aux autres. Et puis nous avons également des témoignages de spécialistes : thérapeute, sexologue, psychologue, kinésithérapeute… Ces témoignages peuvent aider, donner des conseils et pourquoi pas apporter une solution.
C’est un livre qui s’adresse aux patients, mais il s’adresse aussi à l’entourage, aux médecins, aux spécialistes. En fait, à tout le monde car malheureusement on se rend compte que chaque personne dans son entourage a quelqu’un qui est touché par la maladie. Et ces personnes ne savent déjà pas comment faire “pendant”, alors “après”... Et pourtant, l’autre peut apporter quelque chose durant cette phase, comme pendant la maladie. Et puis il est important de laisser le temps au patient de faire sa reconstruction.
Comment se sont passées la phase d’écriture et la recherche de témoignages ?
La phase d’écriture a été particulière car elle a débuté pendant le confinement donc à distance. Heureusement nous connaissions déjà la plupart des patients donc cela nous a permis de bénéficier rapidement de cette confiance mutuelle pour obtenir les réponses aux questions que l’on se posait. Beaucoup d’heures d’écoute, de questionnements, de bienveillance Concernant les spécialistes, il y a les spécialistes que l’on a rencontrés pendant nos propres parcours de soins, et puis d’autres spécialistes que l’on nous a conseillés. Tous étaient extrêmement bienveillants avec l’envie de communiquer sur les difficultés de l’après-cancer.
Nous nous sommes également beaucoup documentés, chacun de notre côté, grâce à de nombreuses études menées en France et à l’étranger. Cela nous a permis d’apporter quelques informations et chiffres supplémentaires au livre. Et pour la petite touche finale, nous avons également agrémenté nos pages de dessins humoristiques, grâce à un super infographiste ! Ils reprennent chaque thème abordé dans le livre. Nous espérons qu’ils feront rire les patients et leur rappelleront quelques petits souvenirs rigolos de cette période pas toujours rigolote, elle !
“ L’après-cancer, tout un programme ! ” de Gersende Bargine et Philippe Gourdin à paraître aux éditions IN PRESS, le 22 septembre 2021.
L'avis de la rédaction : l'importance d'être bien entouréeLa maladie nous met à l'épreuve et bouleverse notre vie ainsi que notre façon de voir les choses. Qui sommes-nous ? De quoi avons-nous envie ? Besoin ? Comment se reconstruire ? Il est important de se faire accompagner par un psychologue pendant cette période. |